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Analyse critique de la nouvelle version du Référentiel Général d'Éco-conception des Services Numériques (RGESN) - 1/3

Rédigé le 28/05/2024 par Youen Chéné

SENSIBILISATIONTECHNIQUE

Avant-propos

Le vendredi 17 mai était présenté par l’ARCEP la nouvelle version du Référentiel Général d’Éco-conception des Services Numériques aussi appelé RGESN. Malgré l’invitation, je n’ai pas pu être sur place. Cette nouvelle version sort 18 mois après la version 1.0. Nous avions plutôt apprécié la première version avec ses qualités (très digeste à lire) et ses défauts (peu de critères adaptés aux développeurs d’applications présents au sein des DSI, startups et éditeurs).

Nous avions pu lire et faire des retours sur une préversion fin octobre et début novembre 2023. Le pourquoi de cette série d’articles est que nous avons été déçus par le contenu final du RGESN, en particulier sur la partie 5 "Contenus", notre spécialité à Webvert.

Plutôt que de bouder dans notre coin, nous avons préféré faire une analyse critique et écrire des propositions d’amélioration de certains chapitres.

Pour cela, nous nous baserons sur la version 1.0/1.0.1 du référentiel comme point de référence :

Et la nouvelle version disponible ici :

Slide montrant 4 images avec différent niveau de compression d’une même image (une femme de profilau long cheveux bouclés en salopette et un -shiort à manche lmongue rayé noir et blanc devant un fonds boisé flou). AVIF Compressed : 56.6ko, WebP Compressed : 70.87ko, JPEG Compressed : 92.49ko, JPEG not compressed : 347.06ko
Figure 1. Slide de Temesis présenté le 17 mai sur les impacts des taux de compression, nous y reviendrons dans l’article dédié à la catégorie "Contenus" du référentiel.

Partie 1 : les objectifs du RGESN

Sur le RGESN 1.0, il y a 2 objectifs :

Les principaux objectifs de ce référentiel d’écoconception de service numérique sont de réduire :

→ la consommation de ressources informatiques ;

→ la contribution à l’obsolescence des équipements, qu’il s’agisse des équipements utilisateurs ou des équipements réseau ou serveur.

Avec l’intention principale de promouvoir des méthodes volontaires d’éco-conception.

La nouvelle version a 4 objectifs :

  1. Concevoir des services qui participent à allonger la durée de vie des équipements (smartphones, TV, terminaux connectés…)

  2. Promouvoir une démarche de sobriété environnementale face aux stratégies de captation de l’attention de l’utilisateur

  3. Limiter les ressources utilisées par le service et optimiser la sollicitation des infrastructures numériques

  4. Accroître le niveau de transparence environnementale du service numérique

L’intention est davantage sur la notion d’auto-évaluation de sa maturité en tant qu’organisation créant un service numérique.

Cette notion d’évaluation existait dans la version 1.0 avec un score de conformité (nombre de critères conformes / nombre de critères applicables).

La nouvelle version est plus poussée sur ce niveau :

  • Ajout de fiches pratiques d’auto-évaluation.

  • Un document de déclaration d’écoconception afin de valoriser la transparence des efforts. Lien du fichier en ODS.

Notre Avis

La redéfinition des objectifs est plus complète et plus claire 👏. On sent un gain de maturité.

Nous sommes beaucoup plus modérés sur la partie d’auto-évaluation. En effet, que le remplissage soit de bonne ou de mauvaise foi, on est loin d’avoir une mesure ou une évaluation de l’état des services numériques.

A Webvert, nous sommes tombés sur pas mal de cas où le ressenti et la situation réelle d’une mesure peuvent être complètement différents et pour cela, il faut des outils de mesure en masse. Le cas classique sont les gros sites d’e-commerce où l’équipe tech gère le rendu du catalogue produit et l’équipe marketing gère la homepage, les présentations de collections et le blog. Au sein d’un même service numérique, on va avoir une grande différence sur un même critère et en fonction de à qui on demande, on n’aura pas le même score.

Nous sommes plus proches d’une checklist de suivi pour des chefs de projets. Le référentiel évoque "indicateur de suivi de mise en œuvre du référentiel".

Ce n’est pas utilisable dans l’intégration continue comme pourrait le souhaiter un directeur ou une directrice technique mais nous sommes avantage dans de la déclaration administrative.

Nous l’avions suggéré lors de la phase de consultation, nous aurions préféré des standards de mesure et d’évaluation que les acteurs open source et propriétaires du marché appliqueront dans leur logiciel.

Partie 2 : vision globale des critères

Les critères se sont enrichis.

La version 1.0 se décompose en :

  1. Stratégie

  2. Spécifications

  3. Architecture

  4. UX/UI

  5. Contenus

  6. FrontEnd

  7. BackEnd

  8. Hébergement

La nouvelle version vient ajouter :

  1. Algorithmie (ou plutôt IA, le terme algorithmie est mal choisi)

Notre Avis

A part son nom, l’ajout de la partie Algorithmie/IA est une très bonne chose. En effet, si les data-centers sont construits de manière de plus en plus efficiente, la course à l’armement entre Azure, Google, Open AI, Meta, Mistral (et j’en oublie) et la Chine a fortement augmenté la dépense énergétique et l’achat de matériel dans les data centers.

Le point manquant est je pense la mise en place de profils de critères par type de service numérique. C’est un des retours du sondage de Christophe Clouzeau. Des initiatives pour avoir le RGESN dans un format technique (JSON) open source de Bertrand Keller, pourraient permettre de le faire.

Pour finir sur un point positif, le contenu des nouveaux critères est plus complet et plus décrit que sur la version 1.0.

Partie 3 : Critères "Stratégie"

Nous sommes passés de 12 critères à 10 critères.

A été enlevé de l’ancienne version :

  • Le service numérique a-t-il défini la liste des profils de matériels que les utilisateurs vont pouvoir employer pour y accéder ?

  • Le service numérique est-il utilisable sur des terminaux âgés de 5 ans ou plus ?

  • Le service numérique s’adapte-t-il à différents types de terminaux d’affichage ?

  • Le service numérique publie-t-il une déclaration ou une politique d’écoconception ? (Qui est par contre présente dans les objectifs du référentiel)

A été ajouté dans la nouvelle version :

  • Le service numérique repose-t-il sur des API documentées et ouvertes pour interagir avec le matériel ?

  • Le service numérique a-t-il mis en place des efforts d’open source ?

  • Le service numérique collecte-t-il la donnée de façon responsable et raisonnée ?

  • Le service numérique a-t-il recours à un niveau de chiffrement adapté à ses besoins ?

Des anciens critères ont été intégrés dans un critère voisin :

  • Le service numérique a-t-il identifié des indicateurs pour mesurer ses impacts environnementaux ? dans 1.5 - Le service numérique s’est-il fixé des objectifs en matière de réduction ou de limitation de ses propres impacts environnementaux ?

Notre Avis

Le cœur de cette partie du référentiel est du product management classique pour un éditeur ou une startup qui a une culture produit. Pour les modes projets à base de cahiers des charges, cela peut être un changement culturel important.

Quelques articles sur les différences entre culture projet et culture produit :

On s’étonnera de la disparition des critères orientés sur le matériel (surtout au vu du mix énergétique en France Métropolitaine). On les retrouvera dans les critères de spécification (Ce qui fait sens).

Dans l’autre sens : le critère Le service numérique a-t-il recours à un niveau de chiffrement adapté à ses besoins ? me semble dangereux d’un point de vue de la sécurité. En effet, depuis la guerre en Ukraine, la guerre cyber s’est intensifiée. Sur le terrain, j’ai davantage vu des défauts de chiffrement par manque de budget que de l’abus de service de chiffrement.

Partie 3 : Critères "Spécifications"

Les critères suivants ont été migrés de la partie Stratégie de la version 1.0 :

  • Le service numérique est-il utilisable sur d’anciens modèles de terminaux ?

  • Le service numérique est-il utilisable via une connexion bas débit ou hors connexion ?

  • Le service numérique s’adapte-t-il à différents types de terminaux d’affichage ?

Les critères suivants ont été migrés de la partie UX/UI :

  • Le service numérique est-il utilisable via une connexion bas débit ou hors connexion ?

Les critères suivants ont été ajoutés :

  • Le service numérique est-il utilisable sur d’anciennes versions de système d’exploitation et de navigateurs web ?

Notre Avis

C’est surtout une réorganisation de critères que de réel changement. Cela a l’avantage de regrouper les critères liés à l’obsolescence matérielle en un seul endroit. Cela pourra permettre de contrebalancer les arbitrages du type On arrête de supporter ce type de matériel car c’est moins de 4% des utilisateurs.

DIVULGÂCHER : Critères qui seront complètement oubliés au critère 5.1

Partie 4 : Critères "Architecture"

A été dilué dans le critère 3.3 :

  • Le service numérique utilise-t-il un protocole d’échange adapté aux contenus transférés ?

Ont été ajoutés sur la nouvelle version :

  • Le service numérique propose-t-il les mises à jour incrémentielles, afin de ne pas remplacer tout le code à chaque mise à jour ?

  • Le service numérique optimise-t-il la sollicitation des environnements de développement, de préproduction ou de test en fonction de ses besoins ?

Notre Avis

Les ajouts viennent mitiger les effets rebonds liés à la qualité des réseaux et la capacité d’ajouter des machines virtuelles très facilement pour les environnements de développement. Les leviers sont importants sur ce dernier tant environnemental que financier (FinOps).

Après globalement, cette partie est très orientée grand public/application mobile. Elle occulte tant de domaines de l’architecture logiciel. Si les DSI ont un nouveau critère sur les environnements de développement, il y en aurait tellement d’autres : règle de backup et de redondance d’architecture, efficience du code, mise en place de test de performance et d’amélioration continue de la performance (sans ajouter de nouveaux serveurs), capacité à monter à l’échelle en partant d’une base d’utilisation des ressources très basse, bonne utilisation des services natifs des services de cloud computing (à contrebalancer avec le locking avec un cloud propriétaire), non-duplication de même code/service interne.

Partie 5 : Critères "Expérience et interface utilisateur (UX / UI)"

A été migré dans une autre partie :

  • Le service numérique est-il utilisable via une connexion bas débit ?

A été dilué dans d’autres critères :

  • Le service numérique permet-il de mettre en pause les animations, défilement ou clignotement ?

A été ajouté :

  • 4.14 - Le service numérique évite-t-il le recours à des procédés manipulatoires dans son interface utilisateur ?

Notre Avis

Cette partie était assez riche, quelques réorganisations des critères ont été faites.

Cependant, elle reste toujours très grand public et parlera peu aux DSI et aux éditeurs/startups B2B. Pour ce public, le RGAA (référentiel d’accessibilité) sera beaucoup plus actionnable. En effet, respecter les critères d’accessibilité vous poussera naturellement à faire une interface plus sobre et plus compréhensible.

À venir

Le prochain article sera consacré uniquement aux critères "Contenus", la spécialité de Webvert.